Rachid Sayet est diplômé de l'Ecole Supérieure des Beaux Arts de Montpellier, il a durant les six années de son cursus principalement travaillé la sculpture, la photographie et la performance.

Il intègre ensuite le Centre Chorégraphique National de Montpellier et danse pour différents chorégraphes un peu partout dans le monde.

 

Nourri de toutes ces expériences, et avec l'envie de poser ses valises il décide de revenir à une pratique plus manuelle. Remettre ses mains au travail...

 

Il crée donc " A la Rach "  et  ouvre son atelier à Aimargues où il conçoit et réalise ses propres pièces, mobilier, luminaires, ferronnerie....

 

" Le métal est un matériau qui m'a toujours attiré, sa densité, ses nuances et le rapport physique que son travail nécessite fait de lui un de mes matériaux de prédilection."

 

Avec la coutellerie, il ouvre une autre porte, d'aucun dirait qu'il change de direction mais en fait non, pour lui, tout est lié c'est un cheminement.

 

" Déjà gamin je me rappelle, je m'arrêtais à chaque fois que je passais devant la vitrine de la coutellerie de mon village Lozérien. Je l'ai usée cette vitrine !...

Je contemplais les lames, les manches, les bois qui composaient ces couteaux alors inaccessibles. Un peu plus grand j'osais parfois entrer, et faignant de vouloir acheter un modèle je demandais au vieux vendeur antipathique de voir d'un peu plus près ce Laguiolle 3 pièces en corne d'Aubrac. Alors, je sentais son poids au creux de ma main, la douceur des matières parfaitement polies, le clac de sa fermeture, un plaisir éphémère...

 

C'est une évidence pour moi  la réalisation de couteaux. J'ai l'impression que c'est le point de convergence final de mon parcours professionnel, le métal, des matériaux nobles, le dessin et la sculpture, le travail manuel à l'atelier, le plaisir de voir une main s'approprier une de mes pièces et ne plus vouloir la reposer... "

Un texte de Philippe Delerm tiré de : " La première gorgée de bière, et autres plaisirs minuscules" qui me parle et parlera sans doute à tous les amoureux de couteaux.

 

 

UN COUTEAU DANS LA POCHE

 

 

Pas un couteau de cuisine, évidemment, ni un couteau de voyou à cran d’arrêt. Mais pas non plus un canif. Disons, un opinel n°6, ou un laguiole. Un couteau qui aurait pu être celui d’un hypothétique et parfait grand-père.

Un couteau qu’il aurait glissé dans un pantalon de velour chocolat à larges côtes. Un couteau qu’il aurait tiré de sa poche à l’heure du déjeuner, piquant les tranches de saucisson avec la pointe, pelant sa pomme lentement, le poing replié à même la lame.

Un couteau qu’il aurait refermé d’un geste ample et cérémonieux, après le café bu dans un verre, et cela aurait signifié pour chacun qu’il fallait reprendre le travail.

Un couteau que l’on aurait trouvé merveilleux si l’on était enfant : un couteau pour l’arc et les flèches, pour façonner l’épée de bois, la garde sculptée dans l’écorce, le couteau que vos parents trouvaient trop dangereux quand vous étiez enfant.

 

Mais un couteau pour quoi ? Car l’on n’est plus au temps de ce grand-père, et l’on n’est plus enfant. Un couteau virtuel, alors, et cet alibi dérisoire : Mais si, ça peut servir à plein de choses, en promenade, en pique-nique, même pour bricoler quand on n’a pas d’outils…

 

Ça ne servira pas, on le sent bien. Le plaisir n’est pas là.

Plaisir absolu d’égoïsme : une belle chose inutile de bois chaud ou bien de nacre lisse, avec le signe cabalistique sur la lame qui fait les vrais initiés : une main couronnée, un parapluie, un rossignol, l’abeille sur le manche.

Ah oui, le snobisme est savoureux quand il s’attache à ce symbole de vie simple. A l’époque du fax, c’est le luxe rustique. Un objet tout à fait à soi, qui gonfle inutilement la poche, et que l’on sort de temps en temps, jamais pour s’en servir, mais pour le toucher, le regarder, pour la satisfaction benoite de l’ouvrir et de le refermer. Dans ce présent gratuit le passé dort. Quelques secondes on se sent à la fois le grand-père bucolique à moustaches blanche et l’enfant près de l’eau dans l’odeur du sureau.

 

Le temps d’ouvrir et refermer la lame, on n’est plus entre deux âges, mais à la fois deux âges c’est ça, le secret du couteau.

 

 

Philippe Delerm